Sortie en février de cette année (Été Maussade à fond sur l’actu !) sur l’assez recommandable label belge Stroom, l’anthologie De Angst Voorbij, ce qui signifie au-delà de la peur, n’est pas le genre d’objet dont on parle à l’approche du printemps, quoi que 2020 s’y prêtait bien. Ses huit pop songs patraques et orageuses sient mieux aux frimas de novembre, aux pluies glaciales. Un mois affreux qui avait déjà inspiré à Fred A. au tout début de son parcours, la chaloupade blessée ci-dessous, qu’on retrouve dans De Angst Voorbij, aux faux airs de Love at First Sight.
Une fois n’est pas coutume, j’ai parcouru les brèves notes qui accompagnent le disque. Que je dépiaute un peu ici. Why not?
Qui est Fred A. ? Le frère de Dominique ? Oh oh oh. Ah aha. Excellent. C’est Gerry Vergult, un belge. Et cet alias apparaît pour la première fois circa ’84. Gerry s’était fait connaître dans le collectif culte (je traduis le communiqué – vous vous doutez bien que je ne suis pas si savant en underground flamand, bien que j’aimerais.) Aroma Di Amore, assez saxophonesque.
Mais l’envie de voler de ses propres ailes commençait à se faire sentir et le morceau ci-dessus, paru sur un split avec Lè Travo est même devenu un hit FM mineur. Puis, Gerry a rencontré Gerrit Valckenaers. Et la sortie suivante a été concoctée en duo. Les notes de pochette disent de Gerrit que c’est un virtuoso des synthés. Je l’ajoute parce que j’aime bien ce mot virtuoso, c’est hyper sympa.
Fred A. combinait un goût pour la scène new wave (et ça s’entend) mais aussi la tradition du ‘kleinkunst’ flamand et néerlandais. Petit art, cabaret. Mais Gerry n’était pas un performer, pas du tout. Et le résultat ? Une carrière scénique en peau de chagrin, un seul concert à Liévin en 1986. Fred A. demeurera avant tout un « living room project ».
Après, ça cause de ses paroles, en néerlandais (que je ne commenterais donc pas), largement autobiographiques et au sujet desquelles Gerry déclare « Je me suis souvent demandé pourquoi j’ai eu besoin de raconter ces choses de cette façon, mais j’avais juste besoin de m’en libérer une fois pour toutes. »
‘De Angst Voorbij’ est conçu comme un best-of de cette carrière en catimini, à domicile et peu à peu mutique. Huit chansons issues de la période la plus fertile de Fred A. Gerry commente cette version de lui-même, 30 ans plus jeune. « La musique compilée sur ce disque est un témoignage de ma vie d’alors, encapsulé dans cette époque. C’est pourquoi tout cela me semble si cohérent. Cela montre qui j’étais et ce qui comptait pour moi. Et c’est quelque chose de vraiment précieux. »

Le procédé est connu, le monde est parcouru de chasseurs de trésors, les tiroirs de chambres d’ado se sont substitués aux tombes tarabiscotées. Mais c’est la même fièvre. C’est à qui trouvera la hidden gem toutankhamonesque. Avec mon œil, constamment dans le rétro, je ne m’en plains pas, même si ce n’est pas toujours fameux ce qu’on essaye de nous refiler, bien toiletté, reconditionné, rationnalisé.
Alors cette compil’ ? Elle est vraiment très belle. D’une noirceur laconique et instable à la fois. Deux notes qui s’enrhument, du crachin synthétique, du phaser qui condense, comme une haleine sur la vitre, et dehors il fait dégueu. Des éclairs de rage, forcément froide, qui semblent lécher le bord d’une chope existentielle, de jus éventé. Et plein d’autres surprises encore, d’audaces incongrues, de squames joliment tuilées sur un canevas si désolé. Enfin, cette voix de néant tranquille, aux syllabes de papier de verre, sorte d’ASMR famélique. Diablement addictif.
Une tracklist en forme de liste des courses infernale : Roulette russe, Les veuves vertes, Faits divers (en français dans le texte, ma chouchoute), Usurpation, Monster, La danse sombre, Novembre (donc) et Dommages nocturnes… Tout y est.
Gerry & Gerrit vous souhaitent un bon confinement.