C’est peu de dire que ce disque a chamboulé ma vie et puisque j’ai décidé de n’écrire sur ce blog qu’à propos des choses, des morceaux, des albums qui me touchent…
Non pas que ce dernier m’ait permis d’acheter enfin une Mercedes Maybach S 650 (fini carbone) ni même d’ailleurs une Xsara cotée à l’argus, mais il a délogé un truc, comme une croûte de pain de mie Marks & Spencer collée au palais, qui m’empêchait de goûter vraiment à l’existence.
Si j’ai conscience de la nature hyper casse-gueule de l’exercice, je m’y attaque gaiement. Certainement pas rassuré, mais ça me fait marrer au fond. Et puis je n’allais pas laisser perdre pareil gif animé.
Les faits : Précipitations est le premier album sous mon propre nom, et en français. Avant celui-ci, j’en avais sorti quelques autres avec différents groupes et projets : A Place For Parks, Badr, Electrophönvintage, The Sunny Street. Il est sorti en janvier 2015 sur le label Objet Disque, fondé par Rémy Poncet AKA Chevalrex et moitié du duo de graphistes Brest Brest Brest, à qui l’on doit la belle pochette. Tiré à 200 exemplaires en 33 tours vinyle (maintenant sold out mais en écoute ici). Il a été enregistré entre le 25 décembre 2013 et juin 2014, dans mon appartement à Londres, puis mixé et masterisé à Soup Studio (Londres) avec Simon Trought. Delphine chante sur Gomina et joue du synthétiseur sur La tristesse. Je me suis occupé de tout le reste.
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Tout débute à la manière d’un conte de Noël, à Noël. Sous le sapin ; un paquet oblong, de belle taille, qui n’attend plus que moi. Depuis 1995 et cette interminable messe de Noël en provençal dans je ne sais quel hameau paumé sur les hauteurs de Miramas, j’ai rarement été aussi impatient. Arrivés à Londres en septembre 2006, nous ne sommes jamais rentrés pour les Fêtes. On a fait en sorte que la tradition ne soit pas aussi stricte qu’elle avait pu l’être à Montauban. Quelques œufs de lump sur des blinis, une goutte de champagne milieu de gamme et c’est bon, on se donne la permission d’ouvrir les cadeaux.
Oh ! Un Casio CZ 230s – je romance un brin, parce que je savais très bien que j’allais avoir ça, vous rigolez. J’en ai passé des soirées sur Ebay ; je pourrais demain m’inscrire dans un forum spécialisé. Pseudo : Ré-Mi-Keymaster82.
À cette époque-là, notre petit groupe avec Delphine, Ian (Anglais) et Christos (Grec), The Sunny Street, vivotait. Je promettais un troisième album qui n’est finalement jamais sorti. On ne jouait plus guère… J’avais du temps et une envie diffuse de changement, besoin d’un déclic.
C’est avec mon nouveau joujou sous le bras mais aussi un Casio PT 50 (celui de Gizmo dans les Gremlins), mes boîtes à rythmes Yamaha MR10, DD5 et ma vieille guitare Ibanez SB70 que je m’élance vers la chambre. Liste exhaustive. C’était un peu ça l’esprit. Voyager léger.
Et pour saisir le tout, un vieux Mac sur l’écran duquel il fallait appuyer un poids afin que ce dernier ne blanchisse pas et ne se bloque. J’ajoute donc à l’inventaire un fer à repasser en fonte décoré de motifs pseudo-russes, Спасибо camarade.
Je suis tenté de mettre fin au récit chronologique parce que tout s’est fait très goulûment et rapidement, sous une pluie battante, qui est venue imbiber l’humeur générale. Elton John n’est pas passé me voir, ni Calogero. J’étais en caleçon ou les grands jours, en short adidas bordeaux rayures blanches, un casque vissé sur les oreilles, un mediator entre les lèvres au centre d’un nid de cables emmêlés. Imaginez la scène. Day in, day out.
Au début ce n’était pas un album mais seulement deux morceaux : La tristesse et Droguerie, enregistrés coup sur coup entre le jour de Noël et Boxing Day. Delphine m’aida ensuite à cliper Droguerie – une tentative ratée de fond vert en fin de compte idéale, terriblement raccord avec ma religion de l’accident.
Un tweet enthousiaste et spontané de mon ami Thomas à Magic! se transforma – divine surprise – en petit article sur le site du magazine et à des encouragements à continuer, que ce serait bien de « sortir quelque chose ».
L’ordre des chansons sur l’album est le même que celui dans lequel elles ont été enregistrées. Je souhaitais refléter en l’état ce bout d’année frénétique, le désenclaver, le faire saillir de la routine grisâtre. Je me rappelle à quel point cette entreprise occupait tout mon esprit et mon temps libre, repoussant au loin presque tout ce qui n’avait pas le mérite d’y tenir.
Poignirent Les cieux, sur les cendres d’une vieille démo qui avait tenté d’incorporer les dernières mesures de l’Aventurier. Il n’en resta au final que ce tempo presque satanique (166).
Nous sommes fin janvier et Gomina prend déjà forme au moment de partir à Madrid, le temps d’un week-end. Churros sur la Plaza Major, Jérome Bosch au Prado, et écoutes transies, l’oreille tout contre mon téléphone, des quarante premières secondes de cette chanson si importante pour moi. Cette fringale de m’y remettre, d’en découdre, ça m’a bouleversé.
Je dilapide ici probablement un précieux cd bonus pour l’édition Deluxe des 25 ans, mais de cet assez piètre essai, sorte de cliché franco-névrotique, me sont venus le texte et l’air de la chanson. Gracias à toi aussi.
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Quand je dis que ce sont mes premières chansons en français, ce n’est pas vrai. J’avais enregistré, un été à Toulouse il y a longtemps, quatre bossa légères dans la cuisine de mon ami Sébastien, sorties sous le nom Minimilk, et plus récemment alors une demi-douzaine que j’avais un temps pensé regrouper sous le nom Randounets, un faux mot patois aux sonorités bien de chez moi. Je tâtonnais – osant même jusqu’à sampler Francis Cabrel et citer Gilbert Bécaud – et je n’assume pas follement. Mais la toute première d’entre elles, Rome Éternelle, est toutefois parue sur la compile You Should Always Keep in Touch With Your Friends du label Cloudberry Records (qui avait également sorti un single de The Sunny Street). La voici, une « rareté » que je joue encore live de temps à autre.
Une autre de ces comptines mascagnantes, Marée Chaussée, et son texte bizarroïde, est devenu Picaresque, la cinquième chanson de Précipitations. À l’accident s’ajoute le recyclage. Je me sentais vraiment libre, et je l’étais après tout, de faire comme bon me semblait.
Dès les premières paroles brouillonnées pour Précipitations, le français s’est imposé comme une évidence. De diverses façons, grimpant souvent par plusieurs versants à la fois. J’avais toujours chanté en anglais, pour les mêmes raisons que tout le monde je suppose. Un anglais faiblard de surcroît, que j’avais tordu à ma main, assez impalpable, comme parfois on peut se sentir, mais aussi un peu bête. Et étriqué. Une presque décennie en Angleterre avait fini de me lasser, you know. Chanter le Français ne m’avait pas tellement effleuré. Pourtant l’écrire, ça remontait à loin. J’étais ce type de grand ado imbuvable qui se trimballe partout avec son carnet, qui s’en sert même au bar, ne serait-ce qu’en guise de sous-bock. Le plus souvent oui, c’était juste l’équivalent d’une clope au bec, de 150 grammes de gel dans les cheveux… Mais bon, cette culture du journal, du fragment, du souvenir qu’on capture quitte à en oublier le contexte et la saveur, ça m’a tout de même beaucoup servi. Ça m’a donné le goût du cadavre exquis, de la référence sournoise, le pouvoir d’évoquer un si grand nombre de choses : frontalement, par détours, avec humour, avec colère, et qui semblaient s’accumuler depuis toutes ces années, sans jamais pouvoir s’exprimer. Je suis tombé amoureux, à 32 ans passés de cette langue bien pendue. Et je ne me verrais plus faire machine arrière. Ces dernières semaines, mes calepins ont même refait leur apparition, heureusement sans l’acné, les dents épaissies aux farfalle et la frange grasse qui allaient avec.
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Après la rédaction, les mathématiques. Enivré par tous les sons 80’s et métalliques de mon nouvel appareil, les idées tombaient du ciel et j’avais ma méthode pour les ordonner. Du fait main, du tremblant, au doigt et à l’oreille, mais grosso modo : un petit rythme, une basse, une nappe ou un motif et ainsi de suite, jusqu’à la tour de Londres, de Pise, de Babel, c’est selon. Parce que malgré tout, il y a toujours des surprises, des embûches en chemin, qu’il est jouissif de contourner ou mieux encore, de magnifier. J’ai procédé exactement de la sorte pour Eau claire, sans doute la plus classiquement composée des neufs chansons de l’album.
C’est une façon de faire par strate, comme avec de la terre glaise, ploc, ploc, on rajoute de la matière et on façonne après. Sculpture sonore, je vais rajouter ça à ma bio, purée. Le Rodin de la synth pop. Oubliée la lo-fi, le folk monacal, il n’y a jamais assez de couches.
L’enregistrement et les greffes textuelles ont continué de plus belle, de week-ends en soirées et de moments chourés au travail pour griffonner de la rime. Machine à vivre, Été maussade (tiens donc) et Papier carbone en furent les fruits. Voilà, j’avais mes neufs morceaux. Chiffre qui m’allait très bien, qui se calquait sur beaucoup de mes albums fétiches.
Peu de pistes laissées pour compte finalement, à part une chanson au titre évocateur : L’amour au temps de l’eurodance – croyez-moi vous ne manquez rien – et cette démo instrumentale vite délaissée mais que voici.
Vint alors le temps du studio. Je sélectionnai Soup, où plusieurs de mes amis anglais étaient allés enregistrer par le passé. Simon, l’ingénieur du son, avait l’air partant pour m’aider. Je lui annonçai clairement que ça n’allait pas être très drôle sans doute, toutes ces pistes à toiletter, à retaper. Car j’étais content de mes démos, de leur côté un tantinet hirsute. La mise en beauté, je la voulais sobre.
Soup Studio est installé dans une ancienne usine de confiserie du quartier de Limehouse (tout à l’Est de Londres, non loin de la City, de Canary Wharf). L’immense bâtiment, qui se compose d’un réseau de petites cours intérieures et de ruelles, est occupé par des bars musicaux, plusieurs studios et d’ateliers de création mais également d’habitations semi-squattées.
On a bien accroché avec Simon. Il fut d’une patience incroyable face à toutes mes indications et mes références incompréhensibles (« plus de voix, mais moins de voix » ou encore « maure distorchione to expresse ze sadeness of drinkingueu tou much oaïne ! », ce genre), ou pour détricoter et mixer quarante trois gimmicks différents par couplets. On a fait ça rien que tous les deux, sur une poignée de jours assez autarciques. C’était le point final parfait. Une manière de revenir au monde doucement, d’abord une personne, puis le reste.
S’ensuivraient les commentaires, les trucs à redire, les coupes, les suggestions intempestives… Mais « le mal était fait », très exactement comme je l’avais voulu. J’avais de toute manière cassé ma tirelire, toute ma tête, usé le bout de mes doigts, et celui de ma langue, vidé quatre ou cinq Bics cristal, au moins 200 litres de café. La suite – la sortie, la promo (…) – me sembla-t-il, s’annonçait beaucoup plus facile et assez agréable, moins bandante aussi.