THE WAKE PLUS ULTRA

The Wake / Été Maussade

Claude Gellée, dit le Lorrain. C’est à lui que j’avais pensé, histoire de déployer une analogie longue comme naguère l’expédition aux Indes – et comme elle accablante et incertaine – avec un de mes groupes chéris, The Wake.

Mon bon sens me jouant des tours, je voyais dans les tableaux de ce pâtissier (on lui attribue parfois la paternité de la pâte feuilletée) devenu un peintre très demandé à Rome au XVIIème siècle, comme l’archétype artistique méga valable pour introduire la bande de Glasgow. Une grosse ficelle, bien joufflue de syncréti(ni)sme.

Claude était fasciné par le rendu de la lumière rasante de l’aube et du crépuscule. Il en nimba d’innombrables ports imaginaires fourmillant de personnages, pions frêles parmi des édifices au classicisme fantasmatique. Des goûts simples.

Gellee,_Claude_(Le_Lorrain)_-_Morning_in_the_HarbourMatin dans le port. 1630-40

Pour la lumière, admettons – et la pâte feuilletée, on y reviendra – car en effet, il n’y a pas beaucoup de groupes à qui l’étiquette d’atmosphérique sied si bien. Seulement voilàGlasgow et 1981, c’est tout autre chose que les rayons de miel qui viendraient larder je ne sais quel Pirée au cordeau. Et puis justement, en partant du principe que ça déteint le méli-mélo quotidien de crachin crachat, les aurores corail et les vêpres grises de là-haut en Écosse, ce serait un autre point de rupture fondamental avec ma théorie débilos. Il y a encore moins de groupes aussi changeants que The Wake, dont la carrière et les chansons se conforment trait pour trait à ce type d’éphéméride maboule. Il a bien d’autres défauts, mais certainement pas la monomanie.

Donc Claude, désolé. You’re fired.

p.-s. J’ai failli tenter un « Gellée, gelé… Ça va bien avec la musique, con. » Mais parfois, il faut savoir se calmer. Et accepter ses erreurs.

Au commencement, il y a cette incroyable chanson, On Our Honeymoon, sortie en catimini sur leur propre label, Scan 45.

Elle annonce déjà toute l’imprévisibilité et la route cabossée qui s’ouvre. Apportez-moi quinze semi-remorques d’oxymores comme je les aime tant et que je vous épargne ce coup-ci. Mais ça ne suffirait pas pour la décrire.

Elle tape dans l’oreille de feu Rob Gretton. C’est la signature chez Factory/Factory Benelux.

Première période. Ma préférée.

The Wake c’est « Caesar » (Gerard, en vrai…) – un ancien d’Altered Images – et Carolyn Allen à travers les âges. Rejoints et quittés par plein d’autres dont Bobby Gillespie qui tiendra la basse quelques temps, avant de filer battre la mesure pour Jesus and Mary Chain et de fonder Primal Scream. Glasgow, ville ouverte.

Ils tourneront pas mal avec New Order, pâtiront sans aucun doute de la comparaison. Évidente et en même temps… Pas tant que ça. Mais on est toujours le perdant (magnifique) de quelqu’un. Aimer les deux ne m’a jamais posé tellement de problème.

Leur premier album, le bien nommé et magnifiquement pochetté Harmony, sera produit par Martin Hannett. Sept nuances de noir cambouis et un véritable choc esthétique.

Judas
Testament
Patrol
The Old Men
Favour
Heartburn
An Immaculate Conception

Harmony

Pas d’hymne chez The Wake, même raté ou décevant, ni de plein poumon. Ce n’est pas de cette manière qu’on aura choisi d’exorciser. C’est un gruau d’émotions bouillies, macérées, ultra-concentrées.

Harmony : 29 minutes rêches et captivantes, pleines de failles et d’audaces magnifiées par la production d’Hannett. Des charades hargneuses rendues plus passionnantes encore par ce talent à râcler jusqu’à l’os, à réverbérer jusqu’à la fin des temps, cette beauté de chardon, piquante, violacée de deuil et de regrets. Un côté janséniste, références chrétiennes omniprésentes à l’appui, dont je ne me remettrai jamais tout à fait.

L’étude de texte n’est pas nécessaire, on n’en parle d’ailleurs presque jamais à leur sujet. Mais dès les premières phrases on est saisi par cette sincérité abrasive, sans détour.

Now I know what friends are for
They call the name I must ignore
They make the same mistakes again
Now I know they laugh alone

– Judas.

Ce qui m’amène à Uniform, la merveille des merveilles. Si j’en parlais dans le cadre de mon travail, j’écrirais vraisemblablement :

Cette chanson d’un autre genre, à la fois dramatique et épurée, s’associera parfaitement avec les pensées sombres de la saison – longs sanglots et catharsis tendance garantis !

Blasphème. Je blasphème. Doux Jésus…

La voici, en live à l’Haçienda.

Note : Il faut d’ailleurs les écouter/regarder en live à cette époque. Je pense aux fameuses performances à l’Haçienda et aux Peel Sessions, notamment pour le glacial The Drill qui tomberait à pic dans un John Carpenter). Mais ces jours-ci, contre toute attente, ils ont toujours fière allure.

S’ensuivront deux singles : Something Outside/Host chez Fac Benelux. Deux divagations dub incantatoires froidement recommandées. Étirées et déchirantes comme des chats maigres.

WakeSingles

Puis Talk About the Past, hit mineur pour le groupe, mais je ne me retourne pas trop sur celui-ci, justement. Il annonce un deuxième album, Here Comes Everybody, largement considéré comme l’apex de leur « carrière »…

The Wake / Here Comes Everybody

… Mais pas spécialement pour moi, si je suis honnête. Belle bête quand même ; l’évolution est saisissante, oui. La production multicouche et pourtant légère (message subliminal : PÂTE FEUILLETÉE) est assez passionnante. À l’exception de O Pamela et Here Comes Everybody cependant, le ver pop lavasse est dans la pomme, et la détrempe plus douceâtre.

J’ai un peu bouquiné sur le sujet et je me rends compte que je dois prendre les choses à l’envers, car j’ai tendance à idolâtrer les périodes décriées – les débuts « plus Factory tu meurs », Harmony, la soupe qui tremble, à la grimace, tout ça… Mon oreille crasseuse sans doute.

Je constate et je salue la mue spectaculaire, qui fait selon moi le côté unique du groupe et sa nature sublime : cette liberté douloureuse d’errer où bon lui semble, puisqu’à avoir si peu gagner on a vraiment rien à perdre. À méditer.

Y aura deux autres singles pour Factory : Off the Matter et bien plus tard (années de frustration) Something That No One Else Could Bring, qui contient le très beau Furious Sea, puis basta.

Direction Sarah Records. Deuxième période.

Quel sacré Grand Chelem des labels qui comptent, en général, et pour moi en particulier. Et quel grand écart. Perdues en chemin les basses arachnéennes, les percussions cliquetantes, les ondées synthétiques, jusqu’aux voix blanches…

Mais là où le groupe avait fleuri, comme libérés de l’espoir d’être vraiment compris, dans l’ombre vénéneuse du baobab Joy Division/New Order. Étiquetés éternelle pâle copie (spectre ?) dans leur première façon, leur abandon quasi-total à la pop modeste et parfois fleur bleue (twee, qu’on disait) du label de Bristol ne leur a pas autant réussi.

Parce que certains de leurs collègues l’on fait tellement mieux je trouve : les Field Mice bien sûr (Caesar et Carolyn s’associeront à leur grand manitou, Bobby Wratten, au sein du « super » groupe The Occasional Keepers), Brighter, The Sea Orchins, Another Sunny Day et tant d’autres.

Ça donne lieu à des singles bancals, comme Major Tom et sa face B qui résume parfaitement l’affaire : Lousy Pop Group, ou encore à des albums aux faux airs de BMX Bandits anémiques, c’est dire, à l’image de Tidal Wave of Hype de 1994. À mes yeux complètement dépassionnés et basiques, là où le reste de la production du label brillait sinon par un songwriting de haute volée (les sus-cités), par un enthousiasme DIY absolument vital.

WakeSarah

Cette indie pop, comme on l’appelle de ce côté-ci de la manche, a bercé les premières années de mon âge adulte, d’innombrables soirées dansantes (croyez moi sur parole, car les preuves ont été détruites), alors sachez que la critique n’est pas globale, ni totalement péremptoire. Écoutez leurs morceaux de cette période, vous verrez peut-être ce que je veux dire. La pop, au sens addictif/opium du peuple du terme, n’est peut-être pas là où l’on l’attend dans leur cas. Il y avait plus de « reviens-y » et de réconfort dans leurs danses macabres que dans ces bluettes nonchalantes et quelque peu scolaires.

MAIS, on décèle aussi dans ce nouveau parterre des boutures surprenantes de fraîcheur, fidèles dans l’esprit à l’audace formelle du groupe ; notamment sa façon d’emboîter des éléments mélodiques dissonants, à première vue incompatibles.

En témoignent ces hits bizarroïdes que sont Crush the Flowers ou encore English Rain (sur l’album Make It Loud de 1990).

Une chose est certaine, on ne pourra pas les accuser d’avoir creusé le même sillon. Je me demande s’ils n’ont pas trouver le bonheur ou la paix en chemin. We all should be so lucky.

Cette archipel fracturé, cette douche écossaise (en fin d’article on case tous ses idées reçues, clichés, etc., tout doit disparaître) font partie intégrante de la fascination que le groupe exerce sur moi, encore un peu tous les jours.

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http://www.ltmrecordings.com/the_wake.html

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